BICOCCHI Clemente – Le Blanc du roi

Éditions Liana Levi, 2018 (pour la traduction française)
Il Bianco del re, 2017, Nottetemplo srl
Traduit de l’italien par Samuel Sfez

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Congo, 2008. La République du Congo réclame la dépouille de Pierre Savorgnan de Brazza et pour l’accueillir, le gouvernement fait construire un immense mausolée en marbre. Construction indécente à plus d’un titre, Clemente Bicocchi est chargé par la descendante de Brazza d’aller filmer ce mausolée.

Brazzaville, capitale de la République du Congo, tient son nom de l’explorateur Pierre Savorgnan de Brazza. Contrairement à d’autres villes du continent africain qui se sont débarrassées des noms évoquant leurs colonisateurs au matin de leurs indépendances, Brazzaville a conservé le sien. La raison est simple : Brazza se démarquait de ses homologues et n’avait pas entrepris une démarche de conquérant. Respectueux de la terre que ses pieds foulaient et des populations qui l’habitaient, Pierre de Brazza s’est imprégné des coutumes, a appris les différentes langues des régions qu’il explorait et instaurait ainsi des relations de confiance et d’échange avec les autochtones. Missionné par la France en 1905 afin d’enquêter sur la colonie française au Congo, Pierre de Brazza va parcourir le pays entier durant quatre mois, va constater avec horreur les innombrables crimes des colons et l’insoutenable impunité dans laquelle ces crimes sont perpétrés. Profondément écœuré par la violence, le racisme et la surexploitation des populations et des richesses de la terre du Congo, épuisé et malade, Pierre de Brazza décède sur le bateau qui le ramène en France. Il a pris soin de confier son rapport dénonçant les crimes insupportables commis au nom de la mission civilisatrice de la colonisation. Ce rapport sera mystérieusement « égaré » par le ministère des colonies.

Les histoires naissent d’autres histoires, un peu comme les recherches appellent d’autres recherches et au milieu la mémoire trace son chemin : en 1960, l’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch retrouve le rapport de Brazza qu’on disait disparu et ce dernier sera publié en 2014.

Près d’un siècle plus tard, le président Denis Sassou Nguesso demande que la dépouille de Brazza repose au Congo et fait construire un immense mausolée débordant de marbre blanc. Au sein d’un pays meurtri par la guerre et la pauvreté, surexploité par les compagnies pétrolières, ravagé par la corruption, cette explosion de richesse est plus qu’obscène. D’autant qu’elle ne correspond absolument pas aux valeurs de Pierre de Brazza et viendrait, au contraire, l’inscrire dans la lignée de ses pires ennemis.

C’est ainsi que le narrateur arrive à Brazzaville, missionné par la descendante de Brazza en procès contre le gouvernement congolais, pour filmer précisément le mausolée, en dénoncer l’indécence et le non-sens historique. Peu familier de l’histoire congolaise, le narrateur, double romancé de Clemente Bicocchi, va vite délaisser la prudence et les limites de sa mission pour s’enfoncer intimement dans ce qui fait la particularité de la relation entre Brazza et le Congo. Délaissant tout soutien occidental, c’est aux côtés de Romaric qu’il arpentera les routes accidentés du pays pour rencontrer et filmer le Makoko, le roi du peuple Téké dont les modes de vie sont bafoués par le gouvernement.

Avec ce récit romancé de son aventure, Clemente Bicocchi raconte un autre rapport à l’exploration et la découverte qui n’implique pas le viol d’une culture étrangère ni la possession auto-proclamée tendant à faire croire qu’avant soi, tout cela n’existait pas. Si Clemente Bicocchi agit avec des manières d’occidental, réagit parfois en fonction des stéréotypes qu’il abrite, il ne manque pas de se laisser imprégner par ce qui l’environne, de le mélanger avec ce qui le porte (le cinéma, particulièrement celui de Werner Herzog, ça fait sens) pour tisser une histoire. Cette histoire le ramène à Pierre de Brazza qui, comme lui, va rencontrer le roi des Téké, se faire bousculer par la machine étatique, constater les scandales de surexploitation occidentale (le bois, les diamants) et les non-sens de santé publique (une antenne aux ondes dangereuses). Cette histoire va d’un continent à l’autre, d’un siècle à l’autre, d’un Romaric à un Clemente et ouvre l’imaginaire et la curiosité de son lecteur.

Clemente Bicocchi est né en 1973 en Italie. Il est réalisateur et vit entre la Suisse et l’Italie. Son voyage à Brazzaville (République du Congo) en 2008 va donner naissance en 2012 à un reportage « Afrique noire, marbre blanc », puis au récit romancé « Le Blanc du roi ».

Pour se procurer le DVD Afrique noire, marbre blanc
Bibliographie indicative :

Le rapport Brazza, Mission d’enquête du Congo : rapport et documents (1905-1907) – Mission Pierre Savorgnan de Brazza, Commission Lanessan – Édition Le Passager Clandestin, 2014

Congo 1905 le rapport Brazza, le premier secret d’État de la Françafrique – Vincent Bailly et Tristan Thil, Édition Futuropolis, 2018

Conférences et lettres de Pierre Savorgnan de BrazzaÉdition Bantoues – P. Kivouyou Verlag, 1984 (première édition 1887)

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