LEE Harper – Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur & Va et poste une sentinelle

To kill a mockingbird, 1960 (parution USA). Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, Éditions Grasset, 1989. Traduit de l’anglais (USA) par Isabelle Stoïanov – Disponible en poche
Go set a watchman, HarperCollins, 2015 (parution USA), Va et poste une sentinelle, Éditions Grasset, 2015. Traduit de l’anglais (USA) par Pierre Demarty – Disponible en poche

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Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur est reconnu comme un grand classique de la littérature américaine. Paru en 1960, Harper Lee donnait à lire le quotidien d’une petite ville du Sud des États-Unis pendant la Grande Dépression. Le récit dessine une population agricole et ouvrière abandonnée, paupérisée, peu éduquée, consanguine et fatiguée. Au centre de ce portrait peu reluisant, la famille Finch comprenant deux enfants, Jeremy et Jean Louise, élevés par leur père Atticus et leur gouvernante Calpurnia. Atticus est un homme bon, juste, intelligent, épris de bon sens et empreint de doutes. Il est le héros de sa fille Jean Louise surnommée Scout. L’histoire de leur quotidien s’articule autour du procès de Tom Robinson accusé d’avoir violé Mayella Ewell. Tom Robinson est Noir, innocent mais sa couleur de peau représente pour la population et l’institution l’évidence de sa culpabilité. Atticus Finch défend avec brio et contre tous cet homme en utilisant la loi et les stratégies d’avocat. Immortalisé par Grégory Peck au cinéma, le personnage d’Atticus a longtemps été le symbole de l’homme intègre par excellence. Paru dans les années 60 au cœur de la lutte pour les droits civiques, il était aussi le bon américain, l’homme qui voit l’innocent à défendre et pas la couleur de peau. Son intelligence sophistiquée doublée de sa sensibilité virile ont fait de ce papa célibataire un modèle d’homme. C’est Scout, petite fille plus intrépide que garçon manqué, qui raconte l’histoire. Ses yeux naïfs et intelligents savent que la posture de son père, en Alabama dans les années 30, est admirable et courageuse. 

Roman culte aux tons magiques et cauchemardesques de l’enfance, aux personnages attachants et courageux, aux discours politiques suffisamment bien mélangés au récit pour que ça ne soit pas « un roman à message », Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur a longtemps, très longtemps, été le seul et unique roman connu de Harper Lee. En 2011 pourtant, un manuscrit antérieur est retrouvé…

Va et poste une sentinelle raconte le retour de Scout dans la petite ville de son enfance. Nous sommes en 1950 et la jeune femme n’a pas trahi la petite Scout. Toujours peu attentive aux conventions sociales, elle cherche plus à comprendre, à se maintenir libre que se tailler une place dans la société. Elle aime toujours son papa de son amour de petite fille. Atticus Finch a vingt ans de plus, certes, mais sa discrète intelligence, son humour et sa droiture apparente laissent penser qu’il incarne toujours un modèle d’homme. Un modèle pourtant qui fraye avec le KluxKluxKlan, s’insurge contre la lutte pour les droits civiques et trouve que les Noirs sont des gens insuffisamment civilisés pour figurer au même rang que les Blancs. Le choc est rude pour Scout comme pour tous les lecteurs.

Non, il ne suffit pas d’être éduqué, intelligent et sensible pour ne pas sombrer dans la bêtise et le repli identitaire. Mais Atticus est-il un raciste ou un pur produit de son époque et de sa culture, assis sur sa position confortable de dominant ? Défendre un pauvre Noir qui sera de toute façon jugé coupable est certes noble mais Atticus ne craint pas grand chose. En revanche, quand il est question que cet homme devienne légalement son égal, Atticus refuse et se rapproche de ses voisins à moitié dégénérés, complètement consanguins, pour renier la capacité civilisationnelle de « ces gens ». Personne n’aime qu’on brise les idoles.

Et si on peut trouver cruel le revirement du personnage d’Harper Lee, cette dernière n’écrit pas un conte de l’enfance mais une histoire d’émancipation. En ne comprenant pas les positions politiques de son père, Scout s’émancipe et prend conscience que la liberté se travaille tous les jours et à sa hauteur, que les droits ne sont jamais pleinement gagnés mais s’acquièrent étape par étape. Mais émancipation ne veut pas dire rejet ou désamour. Car si Scout sait contrer son père et argumenter face à lui, c’est bien qu’elle est l’héritière de son esprit. C’est la grande finesse des deux romans d’Harper Lee. Atticus ne devient pas pour autant un monstre, il reste le père formidable et un homme qui s’est dressé contre les conventions de son époque.

Il fallait certainement donner à lire en 1960 le portrait d’un homme Blanc bon avec les Noirs. Comme il a fallu donner à lire le portrait d’un homme Noir bon avec les Blancs dans La Case de l’oncle Tom. On ne peut nier l’importance fondamentale du roman d’Harriet Beecher-Stowe paru en 1852 dans l’abolition de l’esclavage tout comme on ne peut pas, par la suite, déconstruire cette perception misérabiliste et victimaire. Il faut, en littérature comme ailleurs, s’émanciper des portraits érigés en idoles.

Harper Lee est née en 1926 dans l’Alabama et y est décédée en 2016. Grande lectrice, elle va à l’école avec Truman Capote qui sera son grand ami. Après des études de droit elle part s’installer à New York pour devenir écrivain. Elle sera très proche de Truman Capote au moment de l’écriture de son « De Sang-froid ». Le roman lui est d’ailleurs dédié. Elle publie en 1960 « Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur », succès planétaire, grand classique, étudié à l’école qui remportera le prix Pulitzer. Elle publie par la suite quelques articles et essais avant que le manuscrit de « Va et poste une sentinelle » soit retrouvé et publié en 2011 aux USA. 

 

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