NAIGEON Christophe – Liberia

2017 – Éditions Tallandier

511hZ1WPlTL._SX334_BO1,204,203,200_Côte Ouest au Nord de l’Afrique, début du XIXème siècle, une bande de terre qui ne s’appelle pas encore le Liberia. Entre les négriers qui déportent encore des hommes et des femmes réduits en esclavage accostent Paul Cuffee et Julius Washington. Ces hommes portent en eux les prémices du Retour en Afrique.

Aux origines, le Liberia est une utopie. C’est probablement cet oxymore qui rend ce pays si complexe. L’utopie c’est un lieu qui n’existe pas physiquement. C’est un outil philosophique qui permet de réfléchir à une société idéale et de fonder un système politique nouveau. L’utopie, c’est plonger sciemment dans l’irréel pour tenter de mieux appréhender le réel et proposer un angle de vue différent des cadres habituels. L’utopie, à l’instar de la fiction, est un chemin d’ouverture d’esprit, de pensée, de compréhension. Cela explique pourquoi un journaliste délaisse ses articles pour s’atteler à un roman. Confronté à la guerre civile au Liberia en 1996, c’est le choix qu’a fait Christophe Naigeon. Il fallait bien la fiction pour réhumaniser les images qui nous viennent automatiquement quand on entend le mot « Liberia », pour comprendre les fondements de ce pays et la suite de son histoire.

Dans l’idée du retour en Afrique réside plusieurs réalités, chargées de bonnes intentions dont l’enfer est pavé. Elle naît aux USA au moment où la population américaine pose les jalons de ce que sera la guerre de Sécession. Les abolitionnistes du Nord ne sont pas tous animés par un esprit de révolte face à l’injustice et à l’inhumanité de l’esclavage. Beaucoup sont préoccupés par différents enjeux. Politique d’abord, les esclaves affranchis sont pour la plupart éduqués, politisés et participent aux réseaux de résistance abolitionnistes, réveillent les consciences des esclaves du Sud et fragilisent la sécurité du pays en faisant craindre une insurrection. Économique ensuite, cette main-d’œuvre autoreproductrice coûte de plus en plus cher à entretenir, le salariat est plus rentable  et procure au maître le sentiment d’être un humaniste progressiste qui émancipe les masses. Racial enfin, tous ces Africains déportés depuis le XVIIIe siècle sont de plus en plus nombreux, certains d’entre eux circulent librement et menacent la pureté du sang américain bien blanc.

Renvoyer ces Noirs « chez eux » résolvaient bien des problèmes et pouvaient même donner le beau rôle. Car il fallait bien nettoyer l’horreur de l’esclavage, tenter de repartir de zéro. Offrir aux esclaves affranchis un retour à la terre, à leur terre, leur permettre de vivre librement, d’établir leurs lois, leur société, leur gouvernement constituait une belle tentative de réparation, inscrite dans la terre où tout avait commencé. Le danger de l’utopie, c’est quand on calque une belle grande idée toute neuve sur un territoire qui a déjà une histoire. « Chez eux », c’est tout un continent. Les captifs déportés en Amérique venaient de pays différents. Et si leurs ancêtres ont été arrachés à leur sol africain, les nouvelles générations sont nées aux États-Unis. La couleur de peau permet de balayer sans mesure toutes ces considérations. Passons. Un coin de terre africaine, délaissé par la France et l’Angleterre qui colonisent un peu plus à l’est, est donc acheté (dérobé) aux autochtones. Voilà, ça sera ici le retour au pays, les frontières sont délimitées, la capitale est baptisée Monrovia en hommage à James Monroe président des États-Unis de l’époque, la devise est déployée L’amour de la liberté nous a amenés ici, liberté qui inspire bien entendu le beau et prometteur nom de Liberia. L’utopie est un lieu.

Sauf que, il ne suffit pas de frontières, de devise, de noms, de fioritures pour décréter que le pays sera comme on l’a rêvé. Parce que sur les terres du Liberia vivent des populations autochtones qui voient d’un très mauvais œil ces colons blancs à la peau noire qui s’érigent en élite et reproduisent l’économie des plantations qui est la seule réalité qu’ils connaissent, à savoir une main d’œuvre réduite en esclavage. À la fin du XIXème siècle, 1% des libériens est propriétaire du reste de la population. La machine infernale est lancée, l’utopie s’est perdue quelque part entre les couches des réalités.

Les épopées marines, les stratégies guerrières, les discussions philosophiques et politiques qui rythment le livre, en font autant un roman d’aventure qu’un récit historique. Mais il n’est pas juste d’écrire au singulier car Christophe Naigeon écrit une Histoire transposée au pluriel : l’histoire américaine, mélangée à l’histoire libérienne, mélangée à l’histoire anglaise ; les noirs-américains, mélangés aux noirs-africains, mélangés aux colons blancs ; l’utopie, mélangée aux légendes, mélangés à la réalité. Les coups d’états et guerres civiles qui ont déchirés le pays à partir des années 1980 trouvent leurs racines en 1822. Ces nœuds complexes, Christophe Naigeon ne les explique pas mais les raconte, patiemment et humblement. Ce roman a un autre grand mérite, il existe très peu de livres sur le Liberia ; Christophe Naigeon comble un silence.

Christophe Naigeon naît en France. Journaliste et documentariste, il travaille en Afrique et couvre notamment des conflits au Rwanda, au KwaZulu-Natal, au Tchad, en Angola et au Liberia. Démuni face à la folie du conflit au Liberia en 1996, il arrête le journalisme pour reprendre des études d’histoire qui le mèneront à l’écriture de « Liberia » publié en 2017 et qui est son premier roman.

Le blog du livre : http://liberia-christophe.naigeon.over-blog.com/