HOUAT Louis-Timagène – Les marrons

Librairie Ebrard, 1844
L’Arbre vengeur, 2011
Épuisé depuis peu, mais à paraître en poche en février 2019 !

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Île Bourbon, quelques années avant l’abolition de l’esclavage. Bravant la peur et le danger, des esclaves s’enfuient dans les cimes de leur île pour retrouver leur dû : la liberté.

Marron, le mot est dérivé de l’espagnol « cimarrón », celui qui vit sur les cimes. Il désignait initialement un animal domestique retourné à l’état sauvage. Sauvagerie et liberté sont des notions proches. Les esclaves étaient considérés comme des biens meubles. Les marrons étaient ces hommes et ces femmes cherchant dans les montagnes un refuge, un endroit où retrouver leur liberté et leur humanité. Le marron n’est pas un individu solitaire. Hors des villes et des habitations dites civilisées, les marrons reconstituent des sociétés organisées. La résistance des marrons est multiple : fuir le maître qui réduit en esclavage, désobéir à l’organisation sociale de l’époque, retrouver, investir et occuper son territoire, reformer une société avec ses codes et fonder une cellule familiale. C’est une résistance politique, sociale et humaine. Ils ne sont pas des prisonniers évadés, ils sont des hommes et des femmes dont on a nié l’humanité et qui refusent cette négation. On retrouve les marrons également au Brésil (les Quilombos) et dans les îles de la Caraïbe.

Contre eux se dressent des hommes armés, persuadés de leur supériorité, violents, riches et inquiets pour les pertes financières qu’occasionne la fuite de leurs esclaves. Les milices et mercenaires envoyés dans les montagnes pour arrêter les fuyards touchent de belles récompenses quand ils ramènent un marron ou la main coupée de l’un d’entre eux comme preuve de sa mise à mort. La force des marrons : leur désir de liberté est plus fort que leur instinct de survie. Cela se lit aussi dans les récits d’esclaves américains : la vie d’esclave a moins d’attrait que la mort d’un être libre.

Le roman de Louis-Timagène Houat raconte avec justesse la vie de quelques marrons sur l’Île Bourbon (actuelle Île de la Réunion) quelques années avant l’abolition de l’esclavage (1848). Il fait découvrir au lecteur les interrogations, les débats, la peur du maître ou de la trahison de l’un des siens, les histoires personnelles qui mènent au marronnage, la difficulté de survivre et de s’établir au creux des montagnes réunionnaises et les conditions de vie innommables des esclaves. Raconter les marrons à travers le roman permet de désacraliser l’image du Noir réduit en esclavage ou en fuite dans les montagnes. L-T Houat, militant abolitionniste, savait ce qu’écrire voulait dire. Il avait saisi la force de la fiction : faire entrer en compassion un lecteur avec un personnage. Ainsi, l’esclave devenait un camarade en souffrance et en lutte. Donner à ces hommes et femmes une place dans la littérature, leur donner un prénom, une trajectoire personnelle, c’est aussi une façon de leur rendre leur humanité. Il faut noter la modernité dans laquelle s’inscrit L-T Houat en faisant participer à cette résistance une femme blanche. L’idée d’une société fondée sur des familles « mélangée », où les différences de couleur et de classe sociale n’ont plus droit de cité donne au roman un ton particulièrement révolutionnaire.

Louis-Timagène Houat naît en 1809 à l’Île Bourbon (Réunion aujourd’hui) libre de couleur, selon l’expression consacrée. Professeur de musique et militant abolitionniste, il est exilé à Paris en 1836, accusé d’incitation à la révolte des esclaves où il publiera avec la complicité de Cyrille Bissette, militant abolitionniste, « Un proscrit de l’île de Bourbon » en 1838, puis « Les Marrons » en 1844. Ce roman est considéré comme le premier roman de la littérature réunionnaise.