DONGALA Emmanuel – Les petits garçons naissent aussi des étoiles

Pour Destinée

Le Serpent à plumes, 1998

35584007L’histoire la République du Congo (Congo-Brazzaville) entre 1980 et 1996, racontée à travers le regard d’un petit garçon, Matapari. 

 Matapari naît 48 heures après ses deux frères le jour du vingtième anniversaire de l’indépendance de la République du Congo. Cet enfant, qui au lieu d’être un des triplés fabrique une paire de jumeaux + lui, va nous raconter sa petite histoire qui bien évidemment croise la grande. Matapari n’est pas encore à l’âge des indignations (sélectives ou non), des jugements ou des analyses. Il veut d’abord comprendre alors il regarde, il interroge, il enregistre et il réfléchit.  La parole de l’enfant est précieuse car elle est brute. C’est sous l’innocence et la curiosité de Matapari qu’on voit se dessiner les fluctuations de la vie politique du Congo.

Son histoire s’étend de 1980 à 1996, le pays connait la présidence de Denis Sassou Nguesso, remplacé en 1992 par Pascal Lissouba. D. Sassou Nguesso reprendra cependant le pouvoir à l’issue d’une guerre civile terriblement meurtrière en 1997 où sévissent entre autres des anciens tueurs du génocide Rwandais (les Cobras) et l’armée angolaise (les Ninjas). Emmanuel Dongala quitte le Congo et Matapari se tait. C’est une autre histoire, ce sont d’autres romans.

À travers Matapari s’entendent les multiples voix du peuple Congolais. Le grand-père, profondément attaché à la laïcité et à la liberté, évoque ses souvenirs de la colonisation et sa lutte en faveur de l’indépendance. L’oncle carriériste qui s’élève au statut de numéro 2 du parti veut aller sensibiliser les pygmées au léninisme mais change d’idéologie dès que le gouvernement est renversé. Le père, professeur passionné de sciences, adepte de la zététique notamment en matière de religion et de politique, qui va s’investir pour défendre l’instauration d’un régime démocratique. La mère, spirituelle et combative, qui tient tout ce petit monde à bout de bras. Une population brimbalée entre le souvenir des colons blancs remplacés par des militaires hargneux remplacés par un régime communiste totalitaire remplacé par une soi-disant démocratie. Le tout dirigé et servi par les mêmes bonshommes qui n’ont que pris la peine de changer de veste. Une poignée d’individus animée par l’ambition et le pouvoir pose les jalons d’un gouvernement qui refusera l’opposition, les contradicteurs, la remise en question de son pouvoir et qui s’emploiera à tenter d’étouffer son peuple.

Au gré de cette galerie de portraits parsemée de jolis hommages rendus à la lecture, aux rêves et à la musique, E. Dongala fait la part belle à ceux qui s’appliquent à vivre en accord avec ce qu’ils croient sans se sentir investis de la mission d’aller convaincre les autres de croire aux mêmes choses.

Et au creux de l’esprit éclairé de Matapari et de ses parents, individus épris de liberté, politisés et cultivés E. Dongala nous rappelle que l’être humain ne se tait pas si facilement.

Emmanuel Bounzeki Dongala naît en 1941 en République Centrafricaine et rejoindra très vite avec ses parent la République du Congo où il débutera ses études. Après un séjour étudiant aux États-Unis et en France, E. Dongala enseigne la chimie à Brazzaville, créé le Théâtre de l’Éclair et entame sa carrière d’écrivain. Réfugié aux États-Unis depuis 1997, il continue d’enseigner et d’écrire. Il publie entre autres les romans « Un fusil dans la main, un poème dans la poche » en 1973, « Photo de groupe au bord du fleuve » en 2010, « La Sonate à Bridgetower » en 2017 ; un recueil de nouvelles « Jazz et vin de palme » en 1982 ; et trois pièces de théâtre entre 1984 et 2006.

 

 

ILBOUDO Monique – Si loin de ma vie

Le Serpent à plumes, 2018

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Quelque part en Afrique de l’Ouest, un jeune homme veut, à l’instar de toutes les autres jeunes personnes de ce monde, vivre sa vie. 

Jean-Philippe a tout pour lui : pas de vocation, une grande appétence pour la vie, du bon sens, pas de croyances. Enfant, son oncle lui a raconté que si on couche un poulet en lui disant « reste là, quand je reviens je t’égorge » le poulet ne bouge pas et attend, perclus de la fatalité de sa condition. Dès lors, Jean-Philippe décide qu’il ne sera pas un poulet et refuse d’obéir aux lois tacites qui gouvernent les mœurs de la société où il a grandi. Il comprend qu’il est facile d’être immobilisé par le poids des injonctions sociales, des traditions et des tabous de son pays. Et lui veut s’émanciper, faire des choix, douter, être libre de s’enraciner où bon lui semble.

Sur sa route il croisera d’autres individus aux trajectoires et aux désirs de vie inspirants. Des personnes nées dans des pays où il est difficile de s’affranchir des carcans économiques et sociaux, mais qui néanmoins n’arrêtent jamais de grandir ni de se débrouiller pour s’en sortir. Des personnes plus chanceuses, exploitant leurs positions de force. D’autres plus humbles, questionnant la légitimité de leurs actions. D’autres courageuses et battantes, qui lui donneront du cœur au ventre. Toutes les rencontres que Jean-Philippe va faire vont influer sur sa vie. Influer mais pas décider à sa place. Il fréquentera aussi des organisations humanitaires qui, obéissant à des enjeux politiques, encouragent les Africains à rester chez eux plutôt qu’aider les gens à s’informer, connaître les dangers de la migration et collectivement, rappeler aux pays du nord que la liberté de circulation vaut pour chacun. Les questionnements de Jean-Philippe sont porteurs d’une saine naïveté qui réinterroge des notions centrales et férocement actuelles : pourquoi certaines personnes sont dites expatriées quand d’autres sont dites migrantes ?

La richesse de ce roman, c’est cette fine frontière sur laquelle Monique Ilboudo fait marcher son personnage principal. Jean-Philippe va devenir homosexuel, un peu par calcul, un peu par affection, un peu par curiosité, un peu par esprit de désobéissance. C’est un choix mûrement réfléchi. Il sait qu’en acceptant les avances d’Elgep, il va accéder à une vie plus confortable et moins précaire mais il va aussi perdre ses proches : l’homosexualité est toujours très mal perçue en Afrique de l’Ouest. Rien de facile dans cette décision, d’ailleurs Jean-Philippe sait par instinct que facilité et liberté n’ont rien à faire ensemble.

C’est un beau portrait de jeune homme qui nous est donné à lire, on y retrouve un peu de l’âme et de l’énergie de certains personnages d’Aya de Yopougon de Marguerite Abouet (Gallimard, 2005). Monique Ilboudo nous fait voyager au cœur des infimes variations qui construisent les individus et la violence des normes, des institutions et des lois élaborées qui ferment le monde. Il n’y a aucun misérabilisme, aucun ennemi pointé du doigt mais un appel à la responsabilité de chacun à ne pas vivre comme un poulet qu’on va égorger.

Monique Ilboudo naît en 1959 à Ouagadougou. Elle y obtient sa maîtrise en droit privé et poursuit ses études de droit à Paris. De retour au Burkina Faso, elle mettra en place un Observatoire sur les conditions de vie des femmes, enseignera le droit à l’université, sera nommée Secrétaire d’Etat chargée de la promotion des Droits de l’Homme et Ministre de la promotion des droits humains et se consacrera à l’écriture. Elle publiera entre autres « Le mal de peau » en 1990 et « Murekatete » en 2000.