SCHUYLER George S. – Black No More

Black No More – 1931 – The Macaulay Compagny, New York (première édition)
Nouvelles Éditions Wombat, 2016 (pour la traduction française) – Disponible en poche
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Thierre Beauchamp

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Si tout le monde était blanc, le racisme disparaîtrait. C’est la thèse posée par le Dr Junius Crookman quand il lance Black No More dans les années 30 aux Etats-Unis. Son entreprise propose aux personnes noires un blanchiment de la peau, un décrêpage de cheveux et un gommage des traits dits négroïdes. Ils pourront alors intégrer sans difficultés la communauté blanche, en attendre les mêmes privilèges et ainsi avoir une vie meilleure. Car le racisme est une affaire de couleur de peau… Non ?

Comme la plupart des choses qui vendent de l’espoir, Black No More connait un immense succès bouleversant ainsi l’économie et les (des)équilibres sociaux en place dans l’Amérique des années 30. Taquin, George S. Schuyler s’amuse avec les peurs des uns et les aspirations des autres et explore la fonction économique et sociale du racisme.

Les associations antiracistes voient leurs finances péricliter, il n’y a plus personne à défendre puisque les amateurs de lynchages n’ont plus de quoi s’occuper. Les bons sentiments dont l’enfer est pavé n’échappent pas à l’opportunisme financier et au cynisme social. Entretenir le racisme comme une norme (tout en disant que c’est mal) maintient la santé économique de ces associations.

L’économie spécifiquement noire s’effondre. Harlem est déserté. Si la veille, chacun portait fièrement sa couleur en la confondant avec son identité et son héritage culturel, aujourd’hui tout le monde se précipite vers cette promesse de vie plus facile, de réussite et d’argent. C’est ainsi que Schuyler exprime son doute envers les mouvements de l’époque tels le Back to Africa, prônant le retour aux pays africains. Il estime que cela ne renforce ni les individus ni la communauté et n’appelle pas à l’insoumission, au contraire. Cela répond à une logique où chaque communauté reste dans sa catégorie. Et financièrement c’est une bonne affaire.

Du côté des nationalistes, la haine de l’autre a toujours faim et trouve une nouvelle jeunesse face à ce changement de société qu’opère Black No More. Les Noirs sont incognito, la menace plus invasive, la peur plus facile à distiller dans l’esprit des gens. Schuyler montre comment cette pensée bien manipulée fait croire aux ouvriers que l’arrivée des Noirs sur le marché du travail des Blancs est plus dangereuse pour eux que les conditions de travail qui leur sont imposées.

Faire entrer des personnes d’origine noire au sein des familles d’origine blanche de façon invisible transforme les pires cauchemars de cette société bien née en réalité. Le sang de leur lignée est menacé. Impossible de distinguer qui est qui si on ne sait plus qui vient d’où… D’ailleurs d’où vient-on ? Le texte en exergue dédiant «Ce livre […] à tous les Caucasiens de la grande République qui peuvent faire remonter leurs origines jusqu’à la dixième génération et affirmer sans ciller que leur arbre généalogique n’a pas la moindre branche, brindille ou feuilles noires. » donne immédiatement le positionnement de Schuyler face à l’obsession de la provenance et de la couleur de peau. Obsessions conduisant à plaquer et à projeter sur les autres des idées toutes faites aussi fausses que ridicules. Il s’en amuse d’ailleurs dans son roman en faisant parler les Blancs du Sud avec l’accent que les écrivains Blancs de cette époque attribuaient en général aux Noirs.

Le personnage principal, Max Disher, devenu Max Fisher va s’employer à exploiter les failles mises au grand jour par Black No More. Plus par jeu que par cynisme et aussi parce qu’il porte en lui une colère fondatrice qui le pousse à chercher à comprendre ce qui se cache sous le mécanisme du racisme. Il se comporte et traite les autres en objets d’études, poussant jusqu’à ses limites l’expérience Black No More en modifiant les représentations sociales. La puissance de l’argent et du dogme sont les terrifiants parents d’une société unifiée, dénuée de richesse culturelle, obéissante où grandissent l’entre-soi et l’absence d’esprit critique.

Junius Crookman, le vrai cynique de l’histoire, fait croire qu’il offre aux Noirs la possibilité d’accéder à une vie meilleure en devenant Blanc. Mais en faisant croire qu’il modifie le sauvage Noir en gentil petit Blanc, il n’appelle pas une société pacifiée (c’est là où son projet est tout sauf naïf) mais une société aveuglée et obéissante aux présupposées injonctions qu’elle s’impose.

Schuyler est plus méfiant que cynique. Le roman Black No More dépeint et critique l’Amérique des années 30 et l’on reconnait certaines personnalités de l’époque (W.E.B. Du Bois par exemple) dans les personnages du livre. Il n’en reste pas moins une réflexion pleine de sagesse et d’humour sur les dérives des individus perdus au sein des organisations sociales, ce qui en fait un roman universel et intemporel.

George Samuel Schuyler naît en 1895 et décède en 1977 aux Etats-Unis. Journaliste, écrivain et éditorialiste, il écrit pour le Pittsburgh’s Courier (journal très influent au sein de la communauté noire) et également pour l’American Mercury de H. L. Mencken. Politiquement,il va passer du communisme à une frange nettement plus réactionnaire, ce qui le rendra difficilement fréquentable et ses écrits ne seront plus édités. Il publiera notamment un ouvrage d’histoire du Liberia, des nouvelles « Ethiopian Stories » et un feuilleton « Black Empire » qui raconte l’histoire d’une société secrète afro-américaine qui combat le pouvoir blanc et décide de fonder un empire noir en Afrique. 

Un très grand merci à Thierry Beauchamp (le traducteur) pour son aide et sa disponibilité.