HIMES Chester – Une affaire de viol

Éditions Les Yeux ouverts, 1963 (pour la traduction française) – Disponible d’occasion
A case of rape – 1980 –
Traduit de l’anglais (USA) par André Mathieu

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Paris, 1950. Cinq hommes sont jugés pour le viol présumé et le meurtre d’une femme. 

Il n’est pas étonnant d’apprendre qu’à l’origine Chester Himes voulait faire de cette histoire un roman en plusieurs volumes. Certes, le texte semble court mais il est ramassé, dense et complexe. À l’instar de ses autres romans, la biographie de Chester Himes est très présente mais mélangée de façon homogène à la fiction. On reconnait ainsi Willa Thompson, une de ses compagnes, dans le personnage d’Elizabeth Hancock Brissaud. Sont également présents Ollie Harrington, William Gardner Smith, James Baldwin et Richard Wright, quatre artistes  (principalement écrivains dont l’oeuvre reste emblématique) Noirs-Américains ayant vécu à Paris et qui ont beaucoup lutté contre la ségrégation aux USA. Si « Une affaire de viol » peut tout à fait se lire en passant à côté de ces éléments biographiques, c’est parce que Chester Himes ne cherche pas à raconter sa vie mais à explorer les nœuds de l’âme humaine et les complexités de la société et de ses mœurs. Les portraits qu’il dresse de ses camarades d’exil ou d’une de ses compagnes ne viennent pas se poser dans son récit par narcissisme ou exhibitionnisme. Il exploite leurs vécus communs et les met en perspective au cœur d’une affaire judiciaire pour tenter de dresser un portrait intime de la société française de l’époque et de la façon dont sont perçus les Noirs (Américains ou non) et les femmes.

Une femme blanche, Elizabeth Hancock est retrouvée morte dans une chambre d’hôtel, ses vêtements sont chiffonnés, l’autopsie révèle qu’elle a eu des relations sexuelles avant sa mort, un puissant aphrodisiaque est retrouvé dans la chambre… le verdict est sans appel : les quatre hommes Noirs, présents dans la chambre l’ont violée et tuée. La présomption d’innocence est inexistante : la femme est par essence victime autant que les hommes Noirs sont coupables.  Les compte-rendus qui construisent le récit sont le fruit des recherches menées par Roger Garrison, écrivain Noir-Américain qui s’emploie à mener l’enquête comme elle aurait dû : en la sortant des préjugés raciaux, en ramenant au rang de détails le sexe et la couleur de peau face à eux qui les érigent comme des déterminants de comportements. Roger Garrison sent dans cette affaire que l’opinion a retiré le bandeau aveuglant la justice et reconnait les relents de racisme qu’il connaît trop bien pour les avoir vécus aux USA.

Sous la myriade de thèmes explorés, Chester Himes tempère le Paris libre et heureux qui s’offrait aux Noirs-Américains, montrant que si la France n’était pas ségrégationniste, elle n’était pas exempte de racisme. Il démonte aussi l’idée confortable et communautariste qui voudrait que les Noirs s’entraident et se protègent. Sa description du milieu littéraire de l’époque ne s’encombre pas de courbettes. L’erreur judiciaire ne s’abat pas sur des personnes que la bien-pensance se complairait à imaginer gentille et vulnérable, ils sont des êtres normaux à qui on peut reprocher des choses. Roger Garrison est également descendu de son piédestal d’écrivain qui voudrait avoir tout compris de la société dans laquelle il vit. Personne n’est épargné, tout le monde est jugé à la même enseigne. Il interroge la relation entre les femmes blanches et les hommes noirs en la sortant  des clichés qui l’accompagne : l’exotisme, la sexualité débridée des hommes, des femmes victimes de leur sensualité et bien sûr, la vieille affaire de l’homme sauvage à la peau noire qui viole la femme pure à la peau blanche. Il dresse un parallèle entre la perception que la société a des hommes Noirs et celle des femmes Roses, inscrivant son texte dans une perspective où la lutte contre les préjugés est plus globale. L’hommage rendu par Dany Laferrière dans son « Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer » prend encore plus de sens.

Chester Himes est né en 1909 dans le Missouri. Petit voyou, c’est lors d’un séjour en prison qu’il découvre la littérature, notamment Dostoïevski. Ses premiers romans connaissent peu de succès mais lui valent des inimitiés fortes, Chester Himes ne s’illustre pas par un caractère affable et ses textes sont sans concession. Il part s’installer à Paris en 1953 où il rejoint son ami l’écrivain Richard Wright (avec qui il se fâchera par la suite). Il y rencontrera plus de succès. Cela explique pourquoi ses textes ont été édités d’abord traduits en français avant d’être édités aux USA. Sa rencontre avec Marcel Duhamel, fondateur de la collection Série Noire chez Gallimard le décidera à écrire des romans résolument policiers. Toute son oeuvre se concentre sur la condition des Noirs aux États-Unis et en France, dénonçant sans condescendance les excès et manquements de l’ensemble des communautés. Il meurt en 1984 en Espagne. Il a écrit entre autres « La croisade de Lee Gordon », « Retour en Afrique », « Mamie Mason », « La reine des pommes ». 

 

Sources :

  • La rive noire, de Harlem à la Seine – Michel Fabre, Lieu Commun, 1985
  • Chester Himes : une vie – James Sallis, Rivages/Écrits Noirs, 2000. Éléonore Cohen-Pourriat pour la traduction de l’anglais