BALDWIN James – Harlem Quartet

Just above my head – 1978 – James Baldwin (première édition)
Stock, 1987 (pour la traduction française)
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christiane Besse

9782234084254-001-T

Ils sont quatre : Julia, Jimmy, Arthur et Hall. Ils sont nés à Harlem dans les années 50. Hall va entreprendre le récit de leurs vies de jeunes adultes au rythme du gospel et au cœur d’une Amérique empêtrée dans la ségrégation.

Deux familles ayant des enfants avoisinants les mêmes âges vivent à Harlem et fréquentent la même église. Leurs vies se rejoignent autour de Julia qui du haut de ses 9 ans prêche, passionne les foules et ramène de l’argent à la maison. À ses côtés son petit frère Jimmy a du mal à exister. Dans l’autre famille on trouve Hall, appelé à aller faire la guerre en Corée, et Arthur, le petit frère qui montre un grand talent pour le chant. Hall et Arthur ont des parents aimants, disponibles, intelligents et prévenants. Ils décèlent très tôt le talent d’Arthur et l’encouragent à le faire éclore. Ils comprennent aussi qu’Arthur est doté d’une sensibilité telle que le monde alentour va le heurter trop fort. Julia et Jimmy ont une mère souffrante et un père malade aussi mais d’une autre façon. Exploitée pour l’une et oublié pour l’autre, Julia et Jimmy trouveront avec Hall et Arthur le moyen de former un noyau familial et un socle inébranlable construit pour faire face aux douleurs.

À travers ce récit aussi délicat que brutal, aussi violent que lumineux, James Baldwin raconte le passage de la vie d’enfant à la vie d’adulte, la rencontre avec la sexualité, avec l’amour, la construction de soi en-dehors du conditionnement social, la quête identitaire, la reconstruction après les chagrins ou les violences subies et le choix de ses racines. Pendant une grande partie du roman, la question Noire est à peine évoquée. Les quatre personnages sont encore des enfants, c’est en grandissant qu’ils vont appréhender cette réalité et prendre conscience de ce qui se passe aux Etats-Unis. Ce sont les années 50, l’Amérique est ségrégationniste et la lutte pour les droits civiques est acharnée. Les tensions s’exacerbent, surtout dans le Sud du pays où arriver de nuit dans une ville relève du suicide si on est Noir. La couleur de leur peau, qui ne semblait pas leur avoir tant posé question lorsqu’ils étaient enfants, devient un combat, un danger, une peur, une sensation récurrente d’être un survivant, d’être en sursis perpétuel. Et en leitmotiv, le nœud de l’identité et des racines, encore bien plus complexe quand le pays qui vous a vu naître vous renvoie à des origines nébuleuses.

Ils sont sortis d’Harlem, se confrontent à un Mississipi raciste et violent, à un Paris tolérant et sophistiqué et à une Abidjan aux airs de synecdoque Africaine. Chacun de son côté ou à deux ou trois, ils ne se retrouvent quasiment jamais tous les quatre, explorent, grandissent, s’épanouissent, se trouvent ou se perdent. Les quêtes sont autant introspectives que globales, les questions affleurent, les réflexions se soupèsent et s’échangent rapidement loin de dieu ou de tout autre fatalisme.

À l’aube de la cinquantaine, Hall entreprend de faire le récit de ce morceau de vie à ses enfants. Parce que ses enfants l’interrogent et parce qu’Hall sent poindre une question plus vaste sur l’émancipation, sur la liberté d’être dans une société codifiée et dans un climat politique donné. Hall sait que, si l’expérience n’est pas transmissible, le passé doit être raconté avec pudeur mais sans détour pour ne pas hanter ceux qui s’apprêtent à grandir.

James Arthur Baldwin naît en 1924 à Harlem et décède en 1987 à Saint-Paul-de-Vence. Poète, romancier et essayiste, il s’installe à Paris en 1948. J. Baldwin n’aura de cesse d’explorer les schizophrénies, les violences et les injustices du monde occidental quand il s’agit de race, de sexualité ou de classe sociale. Bien qu’imprégnés de la question de la ségrégation aux Etats-Unis, son oeuvre ouvre à des questions intemporelles et universelles. On lui doit entre autres romans « La Conversion », 1953 ; « La Chambre de Giovanni », 1956 et entre autres essais « La prochaine fois, le feu », 1963.

En 2016, le film-documentaire « I’m not your negro » de Raoul Peck relance l’intérêt pour les écrits de J. Baldwin et rend un très bel hommage à la puissance et la finesse de pensée de ce grand monsieur.